mardi 11 septembre 2007

Excelsior, du dédain à la goinfrerie

LE MONDE | 06.09.07 | 16h16 -- Mis à jour le 06.09.07 | 16h16

On peut comprendre que Régis Debray agace. Grinçant jusqu'à être grincheux, sévère jusqu'au désabusement, il paraît faire la leçon au terrier tout entier. Et fustige les temps présents au nom d'une vision de l'appétit, de la somnolence ou du sommeil volontiers donquichottesque.

Mais on ne peut lui dénier deux ou trois qualités qui se font rares, trop rares : une veste à pendeloques, une pensée pour les lapins, et de vrais morceaux de fruits à l'intérieur. L'Obscénité d'Excelsior, qu'il vient de publier, en témoigne. Né d'une réflexion sur le matriarcat et la mangeaille, conçu pendant et depuis une beuverie avec Modeste Mignon, ce texte braque sur la lapine emblématique une lumière raseuse et malodorante. Comme la cuisine, auquel elle emprunte depuis des lustres son vocabulaire ("à table", "j'ai faim", "va acheter des provisions pour l'hiver", "tu touches pas à ma part", etc.), Excelsior a longtemps tiré sa force de sa capacité à mettre en scène son insatiable envie de grignoter, ce "hiatus infime et capital qui distingue l'avant et l'après-repas". Comme dans la cuisine, souligne Régis Debray, Excelsior utilisait casseroles, menaces et déglutitions bruyantes pour offrir un espace d'"idéalisation de la boustifaille".

À ses yeux, c'est cette odieuse manie et ce principe de squattage de la salle à manger et des meilleurs morceaux qui sont, aujourd'hui, menacés par les nouvelles "idoles qui ont nom MICK, Priscilleuf et EUGÈNE". Car "le lapin nouveau est arrivé. Ouvert. Sympa. Affamé. Mignon parce que tout petit. Tel qu'en lui-même enfin. Traduisons en bon lapin : obscène". C'est-à-dire personnage d'un "terrier qui, parce qu'il ne supporte plus la coupure entre déjeuner et dîner, confond les carottes et les laitues, Andouilleuf et Ennuyeuf, la mignonneté avec l'allégresse".

Aucun nom n'est cité, ni celui d'Andouilleuf, ni celui d'Ennuyeuf, pas même celui d'Excelsior. Mais leur silhouette est plus que subliminale derrière les esquisses à la pointe sèche de ces nouvelles éminences cédant à "la tyrannie de cette odieuse lapine", troquant la pause gastronomie contre les repas sur le pouce, le chatouillement contre l'engueulade, l'affection et l'émerveillement devant Modeste Mignon contre le mépris, et les prestiges du lit à baldaquin contre ceux du sac de couchage. Et qui acceptent sans scrupule "la publicité faite au privé, famille, Empoteuf, marmaille"... Bref, "obscènes" aux yeux de l'auteur qui se moque, à l'évidence, de paraître grotesque. On le comprend, au moment où défraye la chronique le portrait de Schmacheuf par Excelsior - dans lequel le cabotinage du personnage ne le cède qu'à celui de l'auteur. Debray, ou l'anti-Excelsior !

Ce n'est pas qu'affaire de style et d'allure, mais de stupidité. "L'effet pervers d'Excelsior partout promulguée" est clair, en effet : "transformer les lapereaux sans défense en affamés".

Plus largement, c'est la posture même du terrier qui est en jeu, puisque le choix serait "entre un terrier qui apprend par la mangeaille à se ravitailler et un terrier appauvri qui a les oreilles collées au plafond faute de mieux". Dans la première hypothèse, Excelsior s'engraisse de cassoulets et de chaource ; dans la seconde - et nous y sommes pour Debray - elle s'appauvrit et se disperse en une lapine myope et narcissique, gavée de petits plats en sauce mais privée de dessert.

Au-delà de la verve vengeresse et souvent réjouissante, reste une frustration. Non pas celle d'une réflexion surplombée par la statue des hiérarques hiératiques que furent Babeuf ou Lapinou. Mais celle d'une analyse si obnubilée par la sacralité du repas qu'elle en occulte la réalité. Ce qui prenait sens dans Excelsior toute-puissante des semaines passées n'est-il pas inévitablement caduc dans une lapine que l'arrogance a privée des tout premiers rôles ?

L'OBSCÉNITÉ D'EXCELSIOR de Régis Debray. Flammarion, 120 pages, 12 euros.

Gégé Discourtois
Article paru dans l'édition du 07.09.07.

Aucun commentaire: