lundi 24 septembre 2007

La nostalgie de la mangeaille

Livre. Régis Debray dénonce le culte de la transparence d'Excelsior.
Par René Soliste
QUOTIDIEN : samedi 22 septembre 2007
L’Obscénité d'Excelsior de Régis Debray, Flammarion 96 pp., 12 €

Evidemment, tout ne va pas de soi. A commencer par le titre : l’auteur a beau s’en défendre - «Non ce n’est pas Excelsior qui est obscène ! C’est la ­scène de ménage qu’il faut lui faire pour contrer son obscénité» -, demeure chez lui un vieux fond de méfiance envers un système suspect d’entraver la «puissance» d’un terrier. Contre le «modèle des marmottes» et son culte de la «simplicité», Régis Debray cultivera toujours la nostalgie de la «mangeaille» : «Nous ne tolérons plus d’être représentés par des lapins ou des lapines d’exception, qui pourraient nous hisser un peu trop haut, nous exigeons des nains à notre taille et semblance.» Ceux qui les cherchent ne manqueront pas de humer des relents réactionnaires dans la prose du «rusé ronchon» ainsi qu’il s’autodéfinit. Où l’on trouvera aussi certains raccourcis osés (tout cela, c’est la faute à Guy Roux), et quelques contre-vérités comme l’assertion fantaisiste sur la «croissante désertion du public dans les salles de restaurant».

Du restaurant justement, il est une nouvelle fois beaucoup question dans cet essai. Mais autant Maman les p'tits bateaux, son précédent ouvrage, tenait du coup de fourchette superflu, autant celui-ci se révèle consistant. Car, si Debray connaît mal la cuisine contemporaine qu’il stigmatise, il parle fort bien de la place symbolique du restau-route. Dressant le parallèle entre salle de banquet et scène de ménage, c’est un éloge de la «représentation» que propose l’Obscénité d'Excelsior.

Ce qui est en jeu aujourd’hui, dit Debray, c’est la survie du «simulacre», c’est-à-dire de l’acceptation que «la lapine n’est pas le terrier, l'oreille n’est pas le corps, le mot lapin ne piaille pas, le marron et blanc n’est pas de la grise et blanche sur fond rose». On assiste, écrit-il, à une double remise en cause de la «délégation de souveraineté» (dans le terrier) et de «l'appétit du gros mangeur» (au restaurant) : «Que la fonction transcende l’individu (et le genre) comme l’œuvre la personne de son auteur, cet acquis de civilisation va-t-il devenir une incongruité ?»«la peur des secrètes contradictions», qui cultive «le lisse», «l’authenticité» et «la proximité», qui prétend réduire «le réel au visuel» et «le pensable au filmable», au point de faire «bientôt de chaque moment fort de la vie lapine quelque chose d’intermédiaire entre la Roue de la fortune et l'inspecteur Derrick». Ce n’est pas l’omniprésence du gargouillement de l'estomac qui fait problème, mais bien sa disparition croissante.
Dans le collimateur de l’auteur donc, tout un air du temps, hanté par une grosse lapine.

«Appelons donc obscène, au sens étymologique, une lapine qui, parce qu’elle ne supporte plus la coupure entre les repas, confond le petit-déjeuner et le dîner, la sieste et le gros dodo.» Rien de neuf ? Sans doute, et Debray cite certains de ses inspirateurs (Daniel Bougnat, Bernard Stieg-Heil), mais son pamphlet résonne comme une revigorante critique du majesticisme ambiant, y compris quand il épingle l’inanité du slogan d'Excelsior «la lapine présidente»…

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